dimanche 10 mai 2009

Adieu à Marc Bloch



J'ai presque fini mes examens (il me reste juste Shakespeare mais ça ce sera piece of cake fingers in the nose, je parle l'anglais du seizième siècle depuis l'âge de quatre ans trois quart) et donc j'ai presque fini d'être étudiante à Marc Bloch. (Université de Strasbourg je t'emmerde, trois mois versus deux ans et demi égale j'ai fait mes études à Marc Bloch, point)


Y'a quand même des petites choses qui vont me manquer.

Genre les cerisiers du jardin en fleur, et les pâquerettes, les révisions dans l'herbe, la bibliothèque de langues, et les vieux livres de slave qui sentaient la poussière dans la salle 03.

Mais tout le reste, ça va pas me manquer du tout.


Les plafonds qui nous tombent dessus, les murs qui s'écroulent, la machine à café quand elle te donne pas de gobelet mais qu'elle te donne ton chocolat chaud quand même (sur les vêtements en partie). L'odeur bizarre du couloir du bâtiment 4, les amphis avec les horribles marches impossibles à monter correctement (une marche à la fois t'avances pas, deux marches à la fois c'est trop haut pour mes jambes) et les sièges option mal au cul au bout de vingt minutes, que dans les CM de deux heures tu voyais rien que des gens en train de se tortiller.


Y'a aussi des gens qui vont me manquer.


Surtout la bande Langues et Interculturalités option anglais-russe : Adèle qui s'énerve toutes les heures pendant cinq minutes (c'est cyclique), Lucie et sa selle de vélo, Aurélie mais oui on les aime tes crêpes, Werner le seul garçon (alors on en prend soin), Sarah qui aime quand je bois des grandes bières "nan mais sinon je suis toute seule à boire les grandes bières, et après c'est haha l'allemande bourrée" (t'as raison Sarah, non aux stéréotypes!), l'autre Sarah dont je suis amoureuse du look en secret, Chloé la Grande Organisatrice de Soirées (avec les majuscules, parce qu'elle l'a beaucoup beaucoup fait) et Catherine qui savait jamais quand il fallait venir en littérature.
Et aussi les gens du polonais, les gens de LIM et de LIG.

Mais tous les autres, ils vont pas me manquer du tout.


Les communistes qui ont arrêté de bloquer la fac dès qu'il a fait beau pour aller fumer leurs joints au soleil et jouer du jembé tout l'après-midi pour bien nous montrer à quel point ils étaient acharnés et comme la résistance anarchise vaincra, au bout d'un moment, fatalement, quand il faudra pas se lever trop tôt.


L'horrible secrétaire du département de slave
, que si les sorcières existaient dans la vraie vie...elle leur niquerait leur race :


- Bonjour, je...

- AAAARRRHHHH !

- Je vous demande pardon ?

- Moi je vous demande rien, sortez de mon bureau, vous êtes mal élevée.

- Hein ?

- Vous avez toqué et vous êtes entrée ! C'est quoi cette éducation, vous avez pas de parents ? Ou ils étaient trop cons pour vous apprendre les bonnes manières ? Ca vous plairait que je vienne toquer chez vous et que j'entre comme ça ? C'est quoi ça ?

- Non mais je voulais juste savoir...

- Ecoutez j'ai du travail, vous me dérangez, sortez maintenant.

- Mais je voudrais juste...

- Ca dure depuis ce matin, vous croyez quoi, que je suis Mère Thérésa ? Que je suis le Saint-Père ? Que je suis un robot ? Que je suis un panneau d'information ? Je n'ai pas toutes les réponses moi, tout est affiché dehors, allez voir, et si vous êtes trop conne pour savoir lire c'est pas mon problème.

- Je voulais juste vous emprunter un stylo.

- J'ai pas de stylo. Et si j'en avais je vous le donnerais pas, vous le rendriez pas, vous êtes trop mal élevée. Allez sortez, sale voleuse. Allez vous marier à un Tchétchène, c'est tous des voleurs aussi. Malpolie.


(Non mais je déconne pas, hein. D'habitude j'exagère, là c'est une retranscription absolument fidèle de ses propos. J'ai jamais vu un syndrome prémenstruel qui durait toute l'année, avant. Ca surprend un peu. Je suis sûre qu'ils pourraient l'utiliser, en fac de médecine.
)

Les étudiantes de LLCE que j'aimais pas, elles vont pas me manquer non plus.


Y'avait celle qui avait l'air d'avoir quarante-cinq ans, et puis non en fait elle avait la vingtaine. Mais dans sa tête, elle était encore plus vieille. Sûrement qu'elle était déjà née intelligente et vieille. Sûrement que son premier mot c'était "synedoque". Moi je sais juste que ça me faisait mal au coeur de la voir tellement raide et coincée, assise comme si elle avait avalé une planche et qui disait des phrases du dix-huitième siècle avec son air intelligent :


- Certes, la solution que vous proposez est plaisante, je dirais même attrayante. Toutefois, au cours de mes lectures post-examen, j'ai remarqué fortuitement cette tournure des plus diligentes...


Non mais Ginette ça va, essaye voir de sourire si tu t'es pas amidonné le visage aussi, et peut-être que tu te relaxeras assez pour péter un coup.


Y'avait aussi celle avec son chignon et ses lunettes sérieuses mais fashion quand même, qui avait des photos d'elle-même en sous-vêtements sur son fond d'écran de PC (véridique !) et qui se la pétait à mort parce qu'elle avait été dans un lycée international. Ouais Gertrude, mais en attendant moi j'ai appris l'anglais en regardant "Friends", et je parle quand même mieux que toi et ton "Inetèrnachonal Skoule".


Et puis y'avait I'm Not Sure But, dont je vous ai déjà parlé un jour de profond désespoir, après l'avoir entendue dire qu'Oscar Wilde, c'était pas celui qui faisait des films ? en cours de littérature britannique (où on étudiait justement Oscar Wilde, qui est donc, je le rappelle, mort quelques années avant l'invention du cinéma). I'm Not Sure But c'était celle qui wanted to bicome a tiiiitcheur, et qui avait été au comble du malheur le jour où elle avait appris qu'il faudrait lire un livre entier en anglais, sans sous-titres ! D'ailleurs elle avait pas aimé le livre, "bicoze there is people who are dead" (oh my god so schocking, I am terribly offensée).


Y'a aussi des profs qui vont me manquer.


Genre Heather, la prof la plus cool du monde, qui nous ramène des gâteaux de ses séjours aux Etats-Unis et qui va boire des coups avec nous pour fêter la fin des examens. Ou encore le prof de cinéma américain, qui était tout simplement génial et formidable, je veux des enfants de lui (par insémination artificielle parce qu'il est un peu vieux quand même). Ou encore le prof d'histoire du cinéma, la prof de thème (spéciale dédicace aux mardis matin où elle se pointait toujours avec les cheveux qui gouttaient encore et de la crème mal étalée sous les yeux, solidarité avec les mal-levés) ou le prof de comminication interculturelle.


Mais les autres profs, ils vont pas me manquer du tout.


Genre le prof de russe, qui était toujours très gentil, mais sans doute le prof le plus incompétent
que j'aie jamais vu de ma vie. Pour vous faire comprendre, je vous donnerai en exemple l'examen de russe d'il y a deux semaines.

On se pointe à midi, et on apprend que le prof est occupé à surveiller un autre exam. On attend que l'exam se finisse, mais à midi quinze, toujours rien. On toque alors à la porte et là, le prof nous regarde, surpris, et dit :


- Ah vous êtes là ? Ah oui, l'examen ! Attendez, je vous ouvre la porte de la salle.


Sur ce, il part avec nous (laissant ses étudiants en partiel sans aucune surveillance), nous ouvre la porte, et nous tend deux feuilles :


- Voilà le sujet d'examen. Par contre j'ai pas de carte de photocopie, quelqu'un en a une ? Oui ? Vous allez m'en faire dix ?


Donc je suis partie faire des photocopies en traversant trois bâtiments différents pour arriver à la photocopieuse (heureusement, il en restait une qui était pas en panne) et j'ai donné de mes sous pour avoir le droit de passer mon partiel (et je parle même pas de la confidentialité des sujets d'examen).
D'ailleurs il nous a pris les copies à la fin de l'exam, sans doute pour les refiler à d'autres.

Je reviens un quart d'heure plus tard, on commence l'examen avec une-demi heure de retard. En lisant le sujet, je dis au prof :


- Monsieur, et les proverbes que vous nous avez fait apprendre par coeur juste pour l'examen ?
- Ah ? Ah bon ben y'en a pas. C'est pas grave, vous en avez pas besoin.

- Et vous nous aviez dit que c'était pas la peine d'apprendre le vocabulaire du caractère, mais là y'a une question exprès sur ça.

- Ah, j'ai dit ça ? Oh ben dites ce que vous savez.


Sur quoi il se lève et dit :


- Bon l'autre examen se termine à treize heures, je vais aller les surveiller, je reviens tout à l'heure.


Ca c'est pour vous donner un aperçu. Et croyez-moi, ça n'a absolument rien à voir avec la grève ou le bloquage, ça, c'est juste lui. Comme quoi être prof sous l'Union Soviétique, ça donne de mauvaises habitudes.


Dans le genre bonnes surprise de l'examen (mais en vachement moins grave quand même) on a mon épreuve de traduction en polonais. Donc pour ceux qui savent pas, je fais du polonais depuis trois ans, deux heures par semaine. Autant dire que mon niveau se borne au strict assez minimum : "où est la pharmacie", "bonjour je m'appelle Charlotte je suis française j'ai dix-huit ans" (je vais quand même pas m'emmerder à apprendre un nouveau chiffre chaque année, si ?), "je me sens mal", "mais enfin monsieur lâchez mon sac à main", des trucs comme ça.


Et mon épreuve de traduction, en plus d'être un thème (français-polonais au lieu de polonais-français, ce qui complique déjà sensiblement les choses) était un thème fort bien choisi, sur la physique nucléaire. Or mes thèmes à moi couvrent la famille, les animaux, les fruits et légumes, les saisons, mais pas tellement la physique nucléaire. J'avais donc un texte du genre :


"En 1903, soutenur par son mari qui partage sa passion, Marie Curie se lance dans l'expérimentation nucléaire. Les deux époux parviennent à découvrir deux nouveaux éléments nucléaires*. Elle est la première femme à recevoir un prix Nobel. En novembre, elle remplace son mari à son poste de professeur à la Sorbonne. Elle devient ainsi la première femme à enseigner dans cette université. En 1909, elle est nommée professeur titulaire dans sa chaire de physique générale, puis de physique générale et radioactivité."


*nucléaire = nuklearny


Et donc ça, c'est le mot que la prof a choisi de nous donner, sachant que presque aucun d'entre nous ne savait dire "chaire", "prix Nobel", "professeur titulaire", et que moi je connais même pas le verbe "soutenir".
Autant vous dire que ce fut une traduction pour le moins folklorique. Mais bon, c'était pas sur beaucoup de points.

Et puis notre prof s'est quand même comportée, durant cet examen, d'une manière exemplaire : pas de coup de fil intempestif, pas de pause-café toutes les deux minutes, même pas de réflexion sur la grippe mexicaine quand j'ai toussé. Non, vraiment, pour un prof de fac, c'est très rare. Bravo à elle.


Tout ça pour dire que je n'étudierai plus jamais à Marc Bloch.


Et que ça va quand même un peu me manquer.


Mais quand même beaucoup pas.

4 commentaires:

  1. Et tu vas faire quoi à part aller en Angleterre ?

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  2. Ben je sais pas trop encore, probablement un master interprétariat ou relations internationales (mais qui sait, en un an il peut se passer plein de trucs)

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  3. Mais si c'est plus à marc bloch, ça sera où ?

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  4. Trop drôle à lire... Moi, française, qui ne connais pas les facs en France !

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