dimanche 16 septembre 2012

Prosper, le prof de l'enfer



(Ci-dessus, l'uniforme officiel des profs de fac. Autrement, on te laisse pas entrer dans les amphis.)

Donc je suis désormais officiellement prof de fac.


(Y'a pas que le mariage dans la vie mon petit monsieur.)


J'ai décroché un poste de prof d'anglais en vacataire, pour remplacer une amie de ma mère qui part en congé maternité pile à la rentrée (la vie est trop bien faite) et comme ça je vais avoir un boulot jusqu'au départ en Nouvelle-Zélande.

(Ah oui, et accessoirement, je viens d'avoir mon Master avec mention. Ma vie entière te met à l'amende.)


Donc c'est trop cool, j'ai super hâte de rencontrer mes petits élèves (enfin "petits", c'est des  L1 quoi).

J'ai un peu cette appréhension qu'ils ne m'aiment pas, mais si j'ai réussi à me faire aimer de collégiens Anglais à fort potentiel de Ken Loach (père ouvrier alcoolique, grand frère en prison, mère au foyer atteinte d'un cancer, et si on rajoute un bébé dans le tas, t'as le tiercé gagnant), rien ne peut m'arrêter.

(Et puis ils me font pas peur, ils ont genre Bac + 3 mois.)


J'ai eu une réunion de rentrée avec tous mes collègues, et ils ont tous l'air très sympa.

Sauf que.

Sauf que la moitié de la réunion a été passée à nous mettre en garde (nous, les nouveaux vacataires) contre Prosper, le prof titulaire.

C'est comme si chaque sujet abordé avait une "clause Prosper":

- Voici votre code pour la photocopieuse, tous les vacataires ont le même. Par contre, ne le dites pas à Prosper. Il est surveillé très étroitement par rapport à sa consommation de papier, donc, dès qu'il peut mettre la main sur le code de quelqu'un d'autre, il fait des photocopies dans son dos.

Et ça devenait de pire en pire.

- S'il n'y a plus de papier dans la photocopieuse, il y a une réserve disponible au centre de langues. Comme il n'ouvre qu'à 9h, j'ai caché deux ou trois rames de papier dans un tiroir de mon bureau. Je les laisse là pour que Prosper n'y ait pas accès, mais n'hésitez pas à vous servir.

Et de pire en pire en pire.

- La machine à café est à votre disposition, vous devez juste ramener une tasse. Par contre, ne la laissez pas ici, sinon Prosper va l'utiliser. Même si vous marquez votre nom dessus, il s'en fout. Donc posez-la sur mon bureau ou rangez-la dans un de vos tiroirs.

Là, je commençais à penser que c'étaient les autres profs qui étaient un peu psychopathes. Mais ensuite, les infos sont devenues carrément dérangeantes.

- Si jamais vous avez cours après Prosper et que vous avez besoin de nettoyer la salle, j'ai mis des lingettes à disposition sur mon bureau, parce qu'il mange des sardines en cours et très souvent il fait des taches d'huile.
- Ou des kébabs.
- Ou des kébabs, merci Maurice. Donc n'hésitez pas à venir en prendre, prévenez-moi juste quand il n'y en a plus beaucoup, pour que je refasse le plein.

Là, je commençais déjà à me poser quelques questions sur ce prof.

Mais ensuite, on a visité le bureau des profs de langues.

- Donc vous partagerez ce bureau, ici c'est le mien, là c'est celui de Maurice, et là c'est celui de Prosper.


Ce truc, je te jure, c'était pas un bureau. C'était une espèce de trou noir qui aurait aspiré toute la matière de l'univers. Y'avait des piles de papiers sur le bureau, sous le bureau, en diagonale du bureau. Y'avait une couverture à carreaux (est-ce que Prosper fait des pique-niques en dehors de ses heures de cours, ou bien est-ce que c'est parce qu'il a froid dans son bureau? Le mystère reste entier), des bibelots du genre "souvenirs d'Irlande", et au milieu, je te jure, y'avait des jouets Kinder.

Le genre de truc qu'il faut voir au moins une fois dans sa vie. (Je le place au même niveau qu'une pluie d'étoiles filantes.)

Et les recommandations n'en finissaient pas.

- Voilà vos feutres pour le tableau blanc. Je vous conseille de les garder dans votre sac, sinon Prosper les pique. 


A un point où ça devenait carrément effrayant.

- Et ne laissez rien traîner sur votre bureau, sinon Prosper se l'approprie. Tasses à café, fournitures, livres ou magazines, CD de cours, il prend tout. Et si c'est de la nourriture, vous ne la reverrez jamais.
- Donc, quoi? On met tout dans les tiroirs?
- Hmmmm... Quelquefois, il fouille aussi les tiroirs.

J'étais en train de me dire que bon, si ça se trouve, c'était quand même un bon prof, quand on s'est mis à parler de nos cours imminents :

- Alors Charlotte et Sandra, vous vous partagerez les L1 par groupes de niveau. Selon le nombre d'étudiants, on en fera 3 ou 4 de 20 élèves. Vous prendrez un groupe chacune, et Prosper prendra les autres.
- Et qui s'occupe de faire les groupes de niveau?
- Normalement, c'est Prosper. Maurice?
- Oui oui, j'ai déjà appelé Catherine, elle a dit qu'elle allait les faire avec lui, pour être sûre qu'il n'oublie pas.

Oui, parce qu'apparemment, y'a déjà eu des années où les profs se pointaient en cours et où les groupes n'étaient pas faits. (Alors que faire des groupes de niveau, c'est le truc qui prend 5 minutes.)

J'en venais vraiment à souhaiter que ce soit une sorte de bizutage, quand quelqu'un a posé la question évidente :

- Mais, s'il est si terrible, comment ça se fait qu'il soit toujours prof?
- Il est titulaire, donc il est quasiment impossible à virer. Mais si vous avez un souci avec lui, allez voir la scolarité, ils sont en train de monter un dossier et ils cherchent des témoignages.

Okay.

Donc je commence les cours la semaine prochaine.

Tu penses que c'est trop tard pour croire encore à un bizutage?

(La suite au prochain épisode.)

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