Depuis que je voyage hors d'Alsace (c'est toujours déchirant) je rencontre plein de Français qui sont pas d'Alsace (contrairement aux 19 premières années de ma vie, où les seuls non-Alsaciens que je croisais, c'étaient des Suisses (ou des Allemands)).
Et ça a été super chelou.
D'abord parce que je me suis rendue compte qu'il y avait plein de choses que je pensais partager avec mes voisins "de l'intérieur", mais en fait non. Toutes ces choses qui rendent la vie géniale (les mannalas, les bredalas, fêter la Saint Nicolas, pas travailler le Vendredi Saint) n'existent soit que dans les régions proches et sous des noms différents (JEAN-BONHOMME? Non mais sérieusement), soit PAS DU TOUT!
(C'est ça qui fait le plus mal. Que le reste de la France ne connaisse pas le plaisir de tremper la tête de son mannala dans le chocolat chaud, ou d'aller à la piscine de Laguna (celle avec les vagues) le Vendredi Saint, ou de se nourrir plus ou moins exclusivement de trucs à la cannelle pendant tout le mois de décembre. Les pauvres!)
Et puis, surtout, il y a la barrière du langage (que j'avais déjà brièvement mentionnée ici il y a quelque temps).
J'ai donc décidé de faire un mini-lexique pour expliquer au reste de la France les mots qu'on va vous sortir spontanément avant de se rappeler que vous êtes "de l'intérieur", et aussi pour expliquer aux Alsaciens que nan, mais j'te jure, ils l'ont pas ce mot chez eux! (Trop bizarre ces gens.)
Note : beaucoup de mots se finissent en -ala. C'est parce que ce suffixe sert à désigner quelque chose de petit ou de mignon. Exemples : "maidala" (une petite fille), "Schàtzala" (mon petit trésor), etc. Le suffixe -ala s'utilise également pour les prénoms des enfants : Joseph sera alors Sepala, Charles deviendra Charala, Michel devient Mechala, ect.
(On reconnaît donc facilement ceux qui vous ont connu enfant, parce qu'ils vous appelleront encore comme ça quand vous aurez 35 ans. Pour mes grands-parents, je suis restée Charlottala jusqu'à leur mort.)
Allez, c'est parti!
Attendre sur :
Ce suffixe vient de l’allemand (warten
auf). L’expression est souvent utilisée par des Alsaciens qui ne parlent pas
très bien français (ou qui ont grandi entourés d’Alsaciens ne parlant pas bien
français).
Exemple d’utilisation : « On a tous attendu sur ma sœur pendant
20 minutes, c’était super chiant ! ».
Beignet de carnaval (variante : boule de carnaval) :
Un beignet rond fourré à la confiture de framboise, qu’on mange à Carnaval,
parce que c’est à la période du Mardi Gras, et que ces beignets font à peu
près un million de calories pièce. Ils sont saupoudrés de sucre et de l’omniprésente
cannelle qui accompagne tout ce qui se mange entre novembre et mars.
Bredala (Bredele si vous êtes Bas-Rhinois) : n.m.
Les
petits gâteaux traditionnels qui se mangent autour de Noël. Ils sont faits avec
50% d’amour et 50% de beurre, c’est trop le festival dans ta bouche.
Bubbala (pronconcer « poupala », avé l’accent) :
n.m.
Petit bébé. Un mot Yiddish à la base, il est aujourd’hui entré dans le
vocabulaire alsacien (de même que d’autres spécialités juives, comme la carpe
frite, si tu vas dans le Sundgau c’est un peu le seul truc intéressant à faire
là-bas). Il s’utilise pour désigner les bébés, mais également comme un petit
nom gentil. Exemple :
- Mon patron m’a
engueulé alors que c’était même pas ma faute !
- Yeuh,
pauvre bubbala !
Ça tire :
Sans doute l’expression qui déroute le plus
les Français de l’intérieur. Ça tire ? Ça tire quoi ? Des balles ?
Doit-on se mettre à couvert ? Doux Jésus, suis-je arrivé dans le ghetto
alsacien ? En fait, non, l’expression signifie simplement qu’il y a un
courant d’air.
Exemple d’utilisation : « J’ouvre la fenêtre, mais
dis-moi si ça tire trop ».
Finette : n.f.
La finette est un sous-vêtement. C’est
une sorte de débardeur blanc qu’on porte à même la peau.
La raison du port de
la finette est un grand mystère : on ne comprend pas très bien pourquoi
nos mamans s’obstinent à nous les faire porter « pour te tenir chaud »,
alors que bon, c’est un débardeur de un millimètre d’épaisseur, il tient rien
du tout, il fait juste chier. (C’est la raison pour laquelle environ 99% des
gens arrêtent de porter des finettes à l’âge adulte (ou alors comme pyjama).)
Foehn (se prononce « feune ») : n.m.
Le nom d’un
doux vent du Sud qui traverse l’Alsace par la trouée de Belfort, et
accessoirement, c’est comme ça qu’on appelle un sèche-cheveux. « Foehn »,
c’est LE mot de la discorde. Je t’explique si t’es de l’intérieur : c’est
un peu inconcevable pour un Alsacien que ce mot ne soit pas utilisé ailleurs,
tellement il est naturel chez nous. En plus c’est un mot français, quoi !
Exemple
d’utilisation : « T’as pas vu le foehn ? »
(Note :
contrairement aux Suisses, qui ont aussi le foehn, on utilise rarement en
Alsace le verbe « foehner », où on lui préférera « sécher les
cheveux ».)
Français de l’intérieur :
Se dit de tout Français qui n’est
pas Alsacien. Souvent utilisé par des Alsaciens bien de souche, il a souvent
une connotation péjorative. (Sous-entendu : il est de l’intérieur,
gottferdàmmi il est pas comme nous alors !)
Aparté historique : cette appellation de "l'intérieur" vient du fait que, pendant l'annexion de l'Alsace-Moselle par les Allemands après 1871, le gouvernement français nous désignait comme la "France de l'extérieur" (il aurait théoriquement dû nous appeler "l'Allemagne", mais bon, le gouvernement est mauvais joueur).
Exemple d’utilisation :
-
Yeuh Josiane tu sauras chamais la nouvelle ! Ma fille va marier un
étranger !
- Non ! Ma pauvre ! Mais quel genre d’étranger ?
(A ce stade, on attend de savoir si c’est « la bonne sorte » d’étranger :
dans l’Alsace bien profonde, la bonne sorte d’étrangers se compose de quatre
nationalités (dans l’ordre : Suisse, Allemand, Luxembourgeois, Belge) MAIS faut
pas qu’ils soient basanés, sinon ça gâche tout.)
- Yoh non, c’est un de l’intérieur !
(A noter : ici, la catastrophe n’est que moindre, puisque le Français de l’intérieur,
s’il reste un étranger, est toujours meilleur à prendre qu’un véritable
étranger. Sauf un Suisse. Le Suisse reste le choix n°3, après l'Alsacien du bon département, et l'Alsacien de l'autre département.)
(Oui, y'a aussi des guerres intestines entre Bas-Rhin et Haut-Rhin, mais si je pars là-dedans on n'est pas sortis.)
La suite normale des événements est qu’ici, après
avoir soupiré de soulagement, Josiane, dans un sursaut d’inquiétude, va tout de
même s’enquérir si dis-mois voir ce serait pas un Arabe des fois quand même ?
La véritable nationalité du fiancé ne sera jamais vraiment discutée, sauf s’il
vient d’une région proche : s’il est Comtois ou Belfortain, ça jouera en
sa faveur, mais pas s’il est Lorrain (cf. l’affrontement immémorial entre Alsace
et Lorraine), et SURTOUT pas s’il est Vosgien.
(La honte sur la famille qui épouse
les Vosgiens ne s’efface jamais : ma mamie a épousé un Vosgien en 53, et,
à ce jour, plus un seul membre de sa famille ne lui adresse la parole.) (Le
pire c’est que je ne déconne pas.)
Ils veulent :
Expression purement alsacienne, qui s’utilise
pour les prédictions météo. Exemple d’utilisation : « Aujourd’hui il
fait beau, mais demain ils veulent de la pluie ».
Qui sont donc ces
mystérieuses entités capables de faire changer le temps selon leur bon plaisir ?
Nul ne le sait, et on n’a pas intérêt à poser la question.
Krumm (prononcer « kroum ») : adj.
Tordu, de
travers. Exemple d’utilisation : « J’étais pressée ce matin, j’me
suis garée un peu krumm » ou encore « Cette église va s’effondrer,
regarde le clocher, il est tout krumm ! ».
Lammala (re-belote, changez les A en E si vous êtes
Bas-Rhinois) : n.m.
En alsacien « petit agneau » : une brioche
en forme d’agneau que l’on mange pour Pâques. Si le paradis avait un goût, ce
serait celui-là.
Lavette : n.f.
Ce n’est pas une insulte, c’est un gant
de toilette.
Mannala (ou Mannele si vous êtes Bas-Rhinois, ou
Jean-Bonhomme si vous êtes ridicule) : en alsacien « petit bonhomme » :
n.m.
Une sorte de brioche qu’on mange à la Saint-Nicolas. Ils existent nature
ou aux pépites, et ils sont particulièrement délicieux quand on les trempe dans
le chocolat chaud.
(Note : on peut s’amuser à le tremper la tête la
première et à jouer à 24h chrono : "Alors, tu vas parler, ordure ?
Hahaha !")
Recevoir :
Ce verbe pourtant français a une
interprétation quelque peu libre en Alsace, puisqu’on traduit littéralement des
expressions formées avec l’allemand « bekommen ». On pourra ainsi
entendre « recevoir un travail » (même si on l’a décroché nous-mêmes)
ou encore « recevoir un bébé » (eh, c’est le pays de la cigogne ici,
hein !).
Rutscher (prononcer « routcher ») : v.
Glisser, déraper. Ce verbe se conjugue à la française. Il s’utilise
particulièrement en cas de verglas.
Exemple d’utilisation : « Wouh, j’ai
fait Strasbourg-Haguenau ce matin, la déneigeuse était pas encore passée, ça
rutschait sacrément ! ».
Schluck (prononcer « chlouk ») : n.m.
Une
gorgée. Exemple d’utilisation : « Tu me files un schluck de ton Coca ? ». Ou encore :
- Je partage pas ma bière.
- Allleeeez, juste un schluck !
Spack (Speck pour les Bas-Rhinois) : n.m. (se prononce "chpak")
Le lard (équivalent de la vie). On peut donc mettre une bonne tranche de Spack sur son pain, mais on peut aussi dire qu'on a du Spack (en se tâtant le bide d'un air morose). Notons aussi l'adjectif "spacky", qui désigne quelqu'un d'un peu rondouillard (s'utilise surtout quand on parle d'un bébé bien gras, et c'est un compliment!).
Voilà, j'en ai sans doute encore oublié genre trois millions, mais t'as le vocabulaire principal ici.
Bonne chance, les Knäckes!