jeudi 25 septembre 2014

Les aventures de Flaxou le boulanger


Quand on est arrivés en Nouvelle-Zélande, Professeur Flaxou était malheureux.

Pas parce qu'il n'avait pas envie de partir, ou parce que le pays ne lui plaisait pas. Non. Parce qu'il y avait un truc qui lui manquait profondément.

Et ce n'était pas sa famille ou ses amis (désolée les gars), c'était LE PAIN.

Parce qu'il faut savoir un truc sur Professeur Flaxou, c'est qu'il a des goûts bien particuliers en termes de nourriture.

En fait, Flaxou aime tout, et Flaxou n'aime rien.

Il mange de tout, parce qu'il faut bien se nourrir, mais en fait, il pourrait bouffer des piles d'acides aminés que ce serait la même chose.

(En même temps, quand on avale sa bouffe en trois secondes chrono sans la mâcher, v'là les papilles atrophiées.)

Le rêve de Professeur Flaxou pour le futur (en plus d'avoir un troisième bras pour devenir champion de StarCraft) (ceci est vrai) c'est d'ailleurs qu'on invente des pilules qui te donneraient toute l'énergie d'un repas.

- Comme ça, au lieu de passer des heures à cuisiner et des heures à table à se faire chier, hop! Tu prends une pilule, et c'est bon!

(Alias "mon pire cauchemar", mais passons.)

Et, quand j'essaye d'expliquer à Flaxou que perso, si on vit dans un monde sans bouffe, j'aime autant me suicider direct, il essaye de me convaincre avec son argument majeur:

- Mais enfin t'imagines tout le temps qu'on gagnerait? J'aurais plus jamais besoin de quitter le PC!

(Car oui, le but principal dans la vie de Flaxou est "comment passer le moins de temps possible loin de mon PC".)

(J'ai dû menacer de le quitter pour qu'il renonce à son idée de pisser dans une bouteille au lieu de se déplacer jusqu'aux toilettes.)

(Et ce malgré un plaidoyer convaincant à base de "nan mais je la viderais régulièrement quand même, je suis pas un crado".)

Tout ça pour dire que c'est un peu frustrant de manger avec Professeur Flaxou. Parce que tu peux lui préparer les meilleurs plats du monde, et il les verra toujours juste comme un tas de carburant (à la limite un peu salé).

Mais il y a un truc, un seul aliment sur lequel Professeur Flaxou est plus impitoyable qu'un boss de la mafia et plus intransigeant qu'un professeur de maths, et cet aliment, c'est LE PAIN.

(Paye ton Français.)

Et la Nouvelle-Zélande, déjà que c'est pas trop le berceau de l'art culinaire tu t'en doutes, il faut bien avouer qu'en matière de pain, ils sont un peu à chier.

J'en veux pour preuve le rayon immense de pain du supermarché, qui te fait un gros faux espoir lors de tes premières courses:



(Han là là mais que vais-je bien pouvoir choisir?)

Avant que tu réalises que c'est UN RAYON ENTIER DE PAIN DE MIE.

(Sérieusement les gars, vous avez un problème.)

Alors oui, bien sûr, y'a bien les supermarchés pour riches (New World, c'est à toi que je m'adresse) qui essayent de te feinter avec des rayons en mode "ça déconne plus":



Et là t'es content, parce que tu vois des baguettes, des miches, et... mais... je rêve mais y'a du PAIN DE MIE FRAIS même dans ce rayon?

Ben oui.

En fait, les rayons "bakery" du supermarché s'adaptent à la clientèle du pays, et donc, on y trouve principalement ENCORE PLUS DE PAIN DE MIE.

Et la rare baguette qui pleure seule dans son coin, bah, pas de surprise, elle est dégueulasse.

(Tu t'attendais à quoi de la part de boulangers qui savent faire que du pain de mie, en même temps?)

Et là, t'as envie de me dire : "Bon Charlotte t'abuses, c'est normal qu'il soit dégueu le pain si tu vas l'acheter au supermarché, vas donc dans une boulangerie et arrête de chouiner". Et t'as un peu raison.

Mais bon, les boulangeries, en Nouvelle-Zélande, déjà faut les trouver.

Encore, à Auckland, c'est pas très compliqué, on trouve pas mal de chaînes qui font boulangerie/café/salon de thé, la plus connue étant Hollywood Bakery :




(Ne crie pas victoire trop tôt.)

Mais le pain qu'on y trouve est à peu près de la même qualité que celui du supermarché (en un poil plus cher). Donc, là encore : dégueu.

Sérieusement, je suis pas une ayatollah du pain (j'en mange d'ailleurs très rarement), mais le fait est que les Kiwis n'aiment pas le même genre de pain que nous.

Pour un Français, arrête-moi si je me trompe, mais un bon pain, il doit être léger, avec une mie pas trop dense mais qui sauce bien quad même, et, surtout, il doit être croustillant.

Tandis que, pour les Kiwis, le pain doit avant tout être moelleux.

Du coup, ben, toutes leurs baguettes sont molles. Les baguettes kiwies, c'est du pain de mie en forme de baguette. Y'a une croûte qu'est là pour faire joli, mais elle est toute caoutchouteuse, et dedans c'est que de la mie toute poreuse qui donne envie de pleurer.

Alors, en dernière solution, tu peux bien te rabattre sur des boulangeries françaises (il y en a quelques-unes à Auckland), mais bon, faut être motivé à :

1. Faire 15 bornes en voiture pour une baguette et trois croissants
2. Payer 20 dollars pour une baguette et trois croissants (c'est pas de la blague, c'est le vrai prix)
3. Manger tout d'un coup, parce que bonjour il y a 95% d'humidité dans ce pays et demain tout sera déjà moisi.

Du coup, Professeur Flaxou était malheureux.

Parce que son repas, son plat préféré, le truc qu'il mange un jour sur deux et des fois tous les jours, c'est : du pain et du fromage.

(Paye ton Français, volume II.)

Quand j'étais en Angleterre et qu'il vivait tout seul, je lui parlais sur Skype, et c'était invariablement ça:

- Je te laisse deux minutes, je vais manger.
- Tu manges quoi ce soir?
- Du pain et du fromage.
- C'est pas ce que t'as mangé hier?
- Si, pourquoi?
- C'est pas ce que t'as mangé avant-hier aussi?
- Oui, mais c'était différent. Hier c'était du pain avec du Chaussée aux Moines, et aujourd'hui c'est du pain avec du Comté.

(Ah bon ben ça va alors.)

Tu imagines donc un peu l'ampleur de son désespoir en arrivant dans un pays où on utilise le pain pour faire des sandwiches, et que le fromage, ça se mange avec des crackers.

(D'ailleurs, toute la rangée en face du pain dans les supermarchés, c'est une avalanche de crackers. Au blé, au céréales complètes, au riz, avec du gros sel, goût fromage, au romarin, ronds, carrés, grands, petits, on dirait une pub Benetton.)

(Là par contre, c'est nous qui avons l'air de gros nuls, avec nos trois pauvres Tuc.)

(Autre parenthèse rapide: les Kiwis mettent du chutney sur leur combo cracker + fromage, au début je me foutais grave de leur gueule, genre vos fromages ils sont tellement dégueu qu'il faut foutre de la confiture dessus pour masquer le goût, ha ha les ploucs, MAIS en fait c'est trop délicieux, donc respect.)

Donc Professeur Flaxou, triste et seul, goûtait au désespoir du pain mou.

Jusqu'à ce que je lui offre une machine à pain.


(36 15 meilleure femme du monde.)

S'en sont suivis des mois d'expérimentation, à base de divers types de farines, divers dosages d'eau, plusieurs modes de cuisson différents, et des techniques de levage plus ou moins ratées, jusqu'à ce que, victorieux, Flaxou arrive enfin à faire du pain comme en France.

Et bon, je vais pas trop me plaindre, parce que sérieusement, son pain, il déchire (et même quand, comme moi, on ne mange pas de pain avec les repas, c'est difficile de résister à grignoter un croûton quand il sort tout juste du four et que le beurre fond dessus).

Mais je vais quand même me plaindre un peu, parce que d'embaumer la maison avec une odeur de pain frais c'est bien joli (et c'est sympa aussi de voir Flaxou occuper d'autres pièces de la maison que celle où se trouve son PC), mais y'a quand même des côtés négatifs à cette nouvelle manie du pain.

Déjà, ça rend les repas un peu monotones:

- Tu veux manger quoi ce soir?
- Du pain avec du fromage.
- Mais c'est ce que t'as mangé hier!
- Ben c'est ce que je vais manger aujourd'hui.
- Et moi alors?
- Ben j'te file 10 dollars, va t'acheter un Thaï.

Et ça rend les courses un peu tristes:

- .... Et puis cette semaine je pensais faire du poulet rôti avec des légumes au four, ça te va?
- Ouais, mais achète juste le poulet. Je le mangerai avec du pain.
- Donc en gros, je fais les courses que pour moi, c'est ça?
- Oui. 
- ...
- Ah non! Il me faut de la levure. 
- ...
- Plein. 

Bon, l'avantage, c'est que le budget courses est vachement moins élevé.

Ajoute à ça que Flaxou brasse désormais sa propre bière depuis son anniversaire (36 15 meilleure femme du monde, volume II) et tu comprendras qu'en fait, le budget courses de son côté du couple se résume à de la farine, de la levure, et plein de fromage.

(C'est un mari économique, faut l'avouer.)

Et oui, j'avoue, c'est sympa d'avoir de la fougasse à manger avec la soupe, et c'est cool aussi de faire des soirées pizzas/tartes flambées avec de la pâte maison:




(Professeur Flaxou contemple sa création.)

(Je le trouve souvent assis devant le four quand je rentre du boulot, en train de regarder son pain lever.)

(C'est un peu son émission de télé-réalité à lui.)


Mais quand même, il y a un léger, très léger inconvénient à la nouvelle manie boulangère de Professeur Flaxou:

IL Y A. DE LA FARINE. PARTOUT.

Et on dirait que c'est de la farine qui est magiquement invisible pour Professeur Flaxou, mais visible pour tous les autres gens de la maison.

Du moins, c'est la seule explication que j'aie trouvé au fait que des fois, je rentre du boulot, je vois la cuisine en mode "Magie de Noël":



 Et quand je vais engueuler Flaxou, je le retrouve devant son PC comme ça:



("Farine? Quelle farine? Nan mais tu te fais des films")

(Ça m'énerverait vachement si ça sentait pas aussi bon)

samedi 13 septembre 2014

Joyeux anniversaire vieille pomme


Et donc c'est mon anniversaire.

D'habitude j'adore les anniversaires. J'ai du gâteau, je reçois des cadeaux, plein de gens que j'ai pas vu depuis des années me laissent des messages sur Facebook, bref c'est la fête.

Oui, mais ça, c'était avant que je devienne une vieille croulante.

Car mon âge avancé s'est insinué sournoisement, et ce n'est qu'à l'approche de mon anniversaire que j'ai réellement réalisé que j'étais devenue une vieille prune desséchée.

Déjà parce que mon cerveau, dans sa grande mansuétude, me fait toujours croire que j'ai un an de moins, du coup pendant des mois j'étais persuadée que cette année j'allais avoir 25 ans alors que ça fait déjà un an que j'ai 25 ans.

(J'ai quand même dû faire le calcul pour confirmer que j'allais bien avoir 26 ans tellement ça me semblait surréaliste.)

Et puis, passé le choc initial "Oh mon dieu je suis en vie depuis 26 ans mais c'est pas possible que je sois en vie depuis tellement d'années, j'ai rien fait du tout pendant tout ce temps, j'ai fait que jouer dans la forêt et glander sur mon PC oh putain", je me suis un peu calmée et j'ai réalisé que bon, un an de plus, ça va, c'est pas la mort, et puis après tout je suis encore jeune, non?

NON.

EN FAIT NON.

EN FAIT PAS DU TOUT.


La dernière once de jeunesse que je possédais encore s'est volatilisée comme neige au soleil grâce à ces petits bâtards de la SNCF (pas merci) :

- Bon Flaxou faut qu'on prenne les billets de train pour octobre, mais on les prend séparément, parce que moi j'ai la réduction jeune et pas toi.
- Cha.... t'as plus droit à la réduction 12-25.
- Mais nan Flaxou tu confonds, j'ai pas la CARTE 12-25, mais la réduction 12-25, je peux l'avoir même si j'ai pas fait de carte.
- Non....Cha...t'as 26 ans.
- Mais nan qu'est-ce que tuOH PUTAIN T'AS RAISON.

J'ai plus droit aux réductions pour jeunes parce que JE NE SUIS PLUS UNE JEUNE.

Je suis une ADULTE.

Et, au-delà de la réalisation (déjà terrifiante en soi) que je fais partie des gens qui payent des impôts et discutent de plans épargne logement, j'ai surtout eu ce choc immense : ça fait 26 ans que je glande rien, okay, quand on les a vécues elles avaient pas l'air si longues, mais en fait, des années, il m'en reste plus tant que ça!

Et là, ça y est, je revois ma vie défiler devant mes yeux, vingt-six ans passés à glander les doigts dans l'slip, et ça y est ça fait un tiers de ma vie qui est passé, encore un tiers et je serai vieille, encore un tiers et je serai MORTE.

(Et encore, ça c'est si je suis chanceuse. Parce qu'avec ma tendance à faire du vélo avec mon Walkman et l'arrivée des voitures électriques sur le marché de l'auto, je sais pas toi mais moi je sens bien se profiler la catastrophe imminente.)

(De toute façon, si c'est pas ça, je vais probablement réussir à me tuer en trébuchant sur mon propre pied.)

(Tu penses que j'exagère mais ça m'arrive genre une fois par jour, sans mentir.)

Et donc j'ai commencé à paniquer parce que ça fait 26 ans que je suis en vie et que j'ai rien fait avec. 

Alors ouais bon d'accord, j'ai été à l'école, je me suis mariée, j'ai déménagé dans un pays qui est grosso modo mon pays mais avec plus de pluie et moins de connards, mais franchement, y'a pas de quoi casser trois pattes à un canard.

Même pas écrit un bouquin, même pas découvert un vaccin, même pas gagné un petit Prix Nobel de la Paix!

(Franchement, quelle glande.)

Mais bon, après j'ai bien réfléchi, et en fait, j'ai des circonstances atténuantes, parce que si tu calcules bien, sur les 26 ans de ma vie, j'ai passé 1 an entier à faire des bulles de salive et pipi dans mon bain. Donc déjà, on démarrait de loin.

(Maintenant ça va beaucoup mieux.)

(Je fais pipi dans la douche.)

Ensuite, faut enlever 3 ans supplémentaires où j'ai dû apprendre les fondamentaux : marcher, parler, lire, m'entraîner à faire bouger les feuilles des arbres avec le pouvoir de mon esprit.

(Je bosse toujours dessus, et je peux dire que les résultats ont fait un énorme bond en avant depuis que j'ai déménagé en Nouvelle-Zélande.)

(Il doit y avoir un truc dans ce pays venteux qui aide à concentrer mon pouvoir.)

(L'énergie tellurique, sûrement.)

Après, bon, faut enlever 6-7 ans à se rouler dans la boue et à courir à poil dans la forêt avec des arcs et des flèches.

(Katniss Everdeen n'a rien inventé.)

Et puis faut aussi décompter de ces 5 ans l'année de l'obsession du Roi Lion, puisque j'ai plus ou moins rien fait entre 1995 et 1996 à part regarder le Roi Lion, écouter ma cassette du Roi Lion, ou lire mes livres du Roi Lion, faut se le dire.




(Ah non, j'avais oublié se balader avec mon jogging du Roi Lion.)

(Tu noteras le k-way en banane, la classe américaine.)

Du coup, si t'as bien compté, ça fait "que" 15 ans de glandouille restants. Et pour ces années-là j'ai pas vraiment d'excuse, si ce n'est que, pendant 7 ans, j'avais le cerveau occupé par le plus grand vide intersidéral de l'univers.

(Tu peux rassembler mes années collège + lycée en un gros mashup à base de "Quand Etienne posera-t-il enfin les yeux sur moi, soupir d'adoration", "Ihihihi Elijah Wood tro bôôôôô regarde la photo que j'ai collée dans mon agenda au lieu d'écouter le cours de maths" et autres "Han ma chériiiiie tu m'as trop trop manquéééééé, je t'ai pas revue depuis la récréééééé!")

(Sérieusement, je garde mon journal intime du lycée pour le jour où j'aurai des enfants ados, histoire de me faire un petit rappel de ce que les hormones de croissance peuvent infliger à ton cerveau.

(Et pourtant, de ces hormones-là, dieu sait que je devais pas en avoir des masses.)

Et puis bon, les 8 ans qui restent, c'est les années où j'étais avec Professeur Flaxou et où j'ai découvert les jeux vidéo et le binge watching de séries, donc là, je pense qu'on peut raisonnablement tout blâmer sur sa pomme.



(Cet homme a détruit ma vie mais il me fait des pancakes pour le petit déjeuner, donc moi je dis, ça se compense.)

(Tu peux pas test la génialitude de mon mari.)

(Si t'en doutais encore, je précise qu'il a pressé ce jus de fruits de ses blanches mains.)

(Rep à sa.)

Du coup ça va, je gère, j'assume parfaitement ma transformation en vieille pomme fripée. Je suis très heureuse d'avoir 26 ans et de mourir de vieillesse dans un avenir très proche. C'est la fête.

Non, c'est une blague, en fait j’ai trop le seum.

(Oui, pour contrer l’avancée des ans et la perte de ma carte 12-25, je m’essaye au parler jeune.) 

(C’est horrible et c’est moche, de mon temps on avait un argot vachement plus poétique et mélodieux) 

(Si si t’as vu.)

Bref, bon anniversaire ma pomme (ma vieille pomme ridée).



Pour combattre la déprime, à partir de maintenant, je propose d'avoir 25 ans chaque année.

Deal?

Deal.

Parfait.

J'ai 25 ans et on n'en parle plus.



A bientôt chez les jeunes.

mercredi 3 septembre 2014

Nouvelle-Zélande et code du travail (spoiler alerte: y'en a pas)


Il y a trois choses qui me manquent depuis que j’ai quitté la France pour la Nouvelle-Zélande:

La première, c’est ma famille et mes amis.

La seconde, c’est la bouffe (mon royaume pour un croissant et un verre de Gewürtz).

La troisième, c’est le code du travail.

En arrivant en Nouvelle-Zélande, je m’attendais à ce que le code du travail soit grosso modo similaire à celui de la France. Et j’étais d’autant plus confiante que les Kiwis se vantent à mort de leurs lois super chouettes sur le travail qui, à les entendre, font couler des rivières de lait et de miel aux pieds des travailleurs tandis qu’ils marchent victorieux sur le dos des grands patrons vaincus.

(J’aime cette image.)

Sauf qu’en fait trop pas.

En fait, la seule raison pour laquelle les Kiwis peuvent considérer que leur code du travail est chouette, c’est parce qu’ils comparent leur pays à la Chine, à l’Inde et au Pakistan (d’où viennent la grande majorité des immigrants). Pays où, on le sait, le code du travail n’est pas le plus existant au monde.

Donc certes, ne crachons pas dans la soupe : le code du travail Kiwi a le mérite d’exister.

C’est à peu près son seul mérite.

Disons que, dans l’esprit très cool et relax du pays, on n’a pas tellement affaire à un « code » plutôt qu’à des « suggestions » du travail.




(Le code du travail en Nouvelle-Zélande, une allégorie.)

C’est ce qui fait que, depuis le début de mon boulot, je raconte ma vie professionnelle à ma famille et les entend régulièrement répondre des trucs du genre : « Nan mais attends là faut leur faire un procès » et autres « Non mais je te crois pas, renseigne-toi, ça c’est forcément illégal ! ».

Eh ben si.

Alterner un shift de soirée qui finit à minuit et un shift de journée qui commence à huit heures, ce qui me laisse en tout et pour tout cinq heures de sommeil par nuit ? C’est légal !

Me faire bosser la nuit sans me payer davantage que la journée ? C’est légal !

Me faire bosser le dimanche sans me payer davantage qu’en semaine ? C’est légal !

Me faire faire des heures sup sans les payer DU TOUT ? C’est légal !

Et, pour ceux que ça interloque, j’ai encore mieux : comme dit plus haut, en Nouvelle-Zélande, les heures sup ne sont pas payées. 

Bon. 

On s’attendrait donc à ce que les entreprises compensent ces heures en offrant le même nombre d’heure de congés. Et, dans la pratique, c’est le cas presque partout, mais ce n’est même pas obligé par la loi !  Non non ! Dans la loi, c’est genre « Si tu veux faire travailler tes employés plus que 40 heures par semaine de temps en temps, fais-toi plaiz, gros ! Pas besoin de les payer, pas besoin de les compenser, la vie est belle sous le soleil ! ».

(C’est pas la citation exacte, mais le ton y est.)

Et je te passe les histoires de mes jours de congés.

(En fait non, je te les passe pas, je vais te les raconter.)

Donc, la loi néo-zélandaise oblige les entreprises à accorder deux jours de congé par semaine à ses employés.

(Bouuuuuh.)

(Quelle bande de rabat-joie, ceux-là, dis donc.)

Mais ce qui est fun, c’est que les jours de congés n’ont ni besoin d’être pendant le week-end, ni besoin d’être côte à côte.

Concrètement, ça veut dire que j’ai eu la joie d’expérimenter des plaisirs inconnus, comme la délicieuse « semaine sans week-end » :

- Donc tu commences lundi, mardi t’as congé, tu reviens mercredi, jeudi t’as congé, et puis tu travailles du vendredi matin au dimanche soir, et tu recommences le lundi. Des questions ?

Ou encore la sublime « semaine de 10 jours » :

- Patron ?
- Oui ?
- J’ai vu le planning de cette semaine, tu trouves pas qu’il y a comme une couille dans le pâté ?

(Ah ouais, je suis une vraie Kiwie maintenant, j’ai maîtrisé l’art du « parles à ton patron comme si c’était ton pote ».)

- Non, je vois pas le problème.
- Ben, je bosse 10 jours d’affilée sans congé.
- Oui, ben je vois toujours pas le problème.


(Je vais te cramer les rétines au fer rouge et tu vas peut-être le voir, le problème.)

Et le patron de m’expliquer doctement qu’il n’y avait pas de problème, puisque :

- Cette semaine, tes jours de congé, c’est lundi et mardi. La semaine prochaine, tes jours de congé, c’est samedi et dimanche. Donc oui, tu bosses 10 jours d’affilée, mais sur une semaine de 7 jours, tu as les 2 jours de congé pour chaque semaine. Donc c’est légal !

Eh ouais ! Donc non seulement je me tape 10 jours de boulot d’affilée, soit 80 heures, sans congés au milieu et sans compensation aucune (puisque si tu penses encore qu’on te file un salaire plus élevé le dimanche tu peux te toucher le slip), mais en plus, pour me remercier de me crever à la tâche, on m’offre un week-end de DEUX JOURS pour m’en remettre.

(Trop aimable.)

(Là ça va, j’en suis au huitième jour, j’ai presque pas envie de planter des haches dans le crâne de Ploc quand il me demande comment on utilise la fonction « répondre à tous » sur un e-mail.)

Et c’est le même genre de rigolade pour les congés maladie.

J’ai d’ailleurs impressionné mes collègues de bureau (composés de Russes, Indiens et Coréens) qui disaient qu’ils étaient bien contents qu’en Nouvelle-Zélande, on ait droit à 5 jours de congés maladie par an, merci patron vous êtes bien urbain, parce que dans leurs pays respectifs on avait droit à beaucoup moins/rien du tout.

- Et en France, Charlotte, vous avez droit à combien de jours par an ?
- Bah….autant qu’il en faut.


(Viens vers la lumière de l'Hexagone, petit Coréen.)

- Y’a pas de limite ?
- Ben non y’a pas de limite, tu peux pas prévoir quand tu vas tomber malade !

Ben oui ! C’est logique, non ?

Mais ce qui me semble normal, à moi petite Froggie, ça semble complètement aberrant chez le ministère du Travail néo-zélandais.

Ah ouais, parce que chez les Kiwis, tu PLANIFIES quand tu vas tomber malade !

Explications : en Nouvelle-Zélande, on a droit à 5 jours de congés maladie payés par an, ET C’EST TOUT. Si t’as la malchance de choper une angine la même année qu’une grippe, tu peux quand même prendre des jours de congés, mais c’est des congés sans solde, et ton patron n’est pas obligé de te les accorder – même si, dans la pratique, il a pas vraiment le choix, faut arrêter la déconne deux minutes.

(Surtout que, vu les germophobes que sont les Kiwis, l’idée même d’avoir un employé contagieux en train de répandre ses microbes au bureau suffirait à provoquer une émeute.)

En règle générale, dans les entreprises bonne pâte (= pas la mienne), les patrons généreux t’autorisent à prendre des congés maladie d’avance si tu as déjà dépensé tes 5 jours par an. (Après par contre faut te tenir à carreaux pour pas tomber malade l’année suivante.)

(Fiou, c’est dur à suivre.)

La bonne nouvelle, c’est qu’on peut reporter les jours sur l’année suivante si on ne les a pas pris, et accumuler jusqu’à 20 jours de pactole, soit l’équivalent d’une bonne grippe suivie d’une grosse gastro. (Le luxe !)

Et je te passe les emplois du temps créés à la va-vite, les "Charlotte faut que tu restes deux heures de plus ce soir" et autres "Tu fais quelque chose ce week-end? Ben plus maintenant".

Heureusement, j'ai fini par trouver la parade pour pouvoir encore profiter un peu de ma vie (parce que je sais bien que j'ai pas la vie sociale la plus épanouie du monde, mais je viens d'acheter les extensions de Skyrim alors excuse-moi mais j'ai du pain sur la planche).

Comme les Kiwis ont une peur maladive de la confrontation, la clé, c'est de ne pas leur laisser le choix. Faut râler, faut s'imposer, bref : faut être français.


Et j'ai remarqué que j'ai de bien meilleurs résultats depuis que mes demandes de congés se sont transformées de ça:

- Patron? Je vous dérange pas? J'en ai juste pour deux minutes hein, promis. Ho elle est fort jolie cette chemise dis donc! Hm... Bon alors en fait je me demandais si des fois ce serait pas possible éventuellement de prendre un jour de congé samedi prochain? J'ai des amis qui se marient, en fait c'est mes colocs, donc c'est un peu important.... mais si c'est pas possible c'est pas grave hein! Je me débrouillerai. J'irai à l'église avec ma chemise de travail, pas de souci.


En ça:

- Yo patron! Samedi prochain, raye-moi du planning, je serai pas là. Pigé?


(Ma sortie du bureau après cette conversation, une allégorie.)

Donc je gère, je cartonne, je suis une boss.

Mais bon, après, je bosse quand même 40 heures par semaine.


(J'ai l'impression de m'être faite enfler quelque part.)