vendredi 18 novembre 2016

L'Instant Kiwi: un week-end au marae


Comme tu sais déjà (parce que je te bassine avec depuis des mois) je prends des cours de Te Reo Maori.

Et dans le cadre de mes cours, je suis allée passer un week-end au marae. 

Et comme c'est un truc pas banal, je me suis dit que je te raconterais un peu comment ça se passe.

Alors d'abord, les basiques:

Qu'est-ce que c'est qu'un marae?


Expliqué très simplement, un marae, c'est un lieu de rassemblement communal. Pour les Maoris, c'est un endroit qui a une importance capitale, parce que c'est l'endroit où vit la culture de la tribu: on s'y rencontre pour des négociations, on y accueille les visiteurs, on y célèbre les mariages, les naissances, et les décès.

Les marae étaient communs autrefois dans toute la Polynésie, mais aujourd'hui, ils subsistent principalement en Nouvelle-Zélande. Et, contrairement à d'autres pratiques culturelles qui sont mortes avec l'arrivée des colons, le marae reste aujourd'hui une part importante de la vie de tous les Maoris – même ceux qui ne s'impliquent pas activement dans la célébration de la culture maorie y sont allés au moins deux-trois fois dans leur vie, et connaissent les us et coutumes à observer sur place.

(Un peu comme nous en France avec l'église.)

(Moi je suis une athée élevée par des bobos, mais je sais quand même faire le signe de croix et réciter "Notre Père" et "Je vous salue Marie" – c'est un peu le minimum syndical.)

En Nouvelle-Zélande, on trouve en général un marae par village, et plusieurs dans les grandes villes. En général, chaque marae est consacré à un hapū (clan) : la tribu locale est le bénéficiaire légal du marae, et a la charge de son entretien.

Le marae est en général séparé du reste du village/de la ville par une enceinte en bois, parce que c'est un lieu sacré (tapu): on n'y entre donc pas comme dans un moulin, et il y a une multitude de règles à suivre une fois à l'intérieur.

Le marae, à quoi ça ressemble?




Le marae est peu ou prou toujours composé des mêmes bâtiments:

- Le wharenui (littéralement "maison-grande"), la maison de rassemblement, où l'on discute et où l'on dort;
- Le wharekai (littéralement "maison-manger"), le réfectoire;
- Le wharepaku (littéralement "maison-petite"), qui comprend les toilettes et les douches.
- Le marae ātea, la cour qui se trouve devant le wharenui (c'est aussi un endroit très important, même si ce n'est pas un bâtiment).

Ça, c'est le strict minimum. Les marae plus grands ont quelquefois des trucs en plus, comme le wharekarakia (église), le wharemata (morgue) ou le poukara (mât pour les drapeaux).

Peut-on accéder au marae si on ne fait pas partie du hapū/si l'on n'est pas Maori?

Oui, mais il faut avoir reçu une invitation formelle de la part du hapū, et même une fois invité, c'est pas genre "Viens, mets tes pieds sous la table". Les gens qui arrivent dans un marae pour la première fois (qu'ils soient Maori ou non) doivent passer par l'étape du pōwhiri (cérémonie d'accueil).

Contrairement à beaucoup d'idées reçues, le marae n'est pas fermé aux non-Maoris; en revanche, comme le but de l'endroit, c'est de célébrer la culture maorie, il est quand même nécessaire pour les visiteurs de s'y intéresser un minimum, et de savoir parler au moins un peu la langue (ne serait-ce que quelques mots appris par cœur et ânonnés péniblement). D'ailleurs, dans la majorité des marae, l'usage de l'anglais est, sinon interdit, du moins fortement déconseillé.

(Du coup, tu comprendras que c'est pas vraiment l'endroit que tu vas aller visiter pendant tes vacances.)

Le pōwhiri, c'est compliqué?


Ouais, hyper. Un pōwhiri formel, en grande pompe, peut durer facilement deux heures.

Une petite pensée au passage pour la famille royale, qui se tape des pōwhiri de trois-quatre heures à chaque visite.



(Ceci dit, ça reste toujours moins long qu'un match de cricket.)

Dans mon cas, j'ai été accueillie au marae de l'université où je prends mes cours (chaque université en Nouvelle-Zélande a son propre marae), et on a eu droit à un semi-pōwhiri, parce qu'on était un groupe assez grand à visiter pour la première fois, donc il fallait marquer le coup, mais en tant qu'étudiants à l'université, c'est techniquement NOTRE marae à nous aussi (il n'est pas assigné à une tribu en particulier).

La cérémonie est souvent adaptée au cas par cas (sinon ça prend des plombes).

Comment se passe un pōwhiri?



(Exemple de pōwhiri formel)

Le pōwhiri consiste en deux groupes qui se rejoignent pour n'en former plus qu'un: d'un côté, les manuhiri (visiteurs), de l'autre, les tangata whenua (hôtes).

Le pōwhiri est une cérémonie très codifiée, qui a plusieurs étapes distinctes:

D'abord, les visiteurs sont groupés hors de l'enceinte du marae (dans la rue, quoi) et les hôtes sont groupés dans la cour, le marae ātea. Dans les deux groupes, les femmes se tiennent devant, les hommes derrière. Puis, les femmes du marae entonnent un chant d'accueil, auquel les femmes du groupe de visiteurs répondent en chantant aussi. Les paroles du chant donnent quelque chose du genre:

- Yo salut les visiteurs, vous êtes qui?
- On est la tribu de X, descendants de Y, Z, etc.
- Vous venez pour faire la guerre ou comment ça se passe?

C'est une tradition des temps jadis, où comme les Maoris passaient leur temps à se faire la guerre, la coutume était de ne jamais laisser entrer des étrangers dans un village sans leur avoir demandé pourquoi ils venaient.

(Et pour ceux qui se demandent "Oui mais les gars ils peuvent mentir, non?" la réponse est : non.)

(Chez les Maoris on s'emmerde pas avec la stratégie: quand on vient pour faire la guerre, on arrive en criant C'EST LA GUERRE, y'a pas de lézard.)

(Les Maoris sont un peu les Leeroy Jenkins de la vraie vie.)

Ensuite, les visiteurs entrent, et les hôtes leur font un chant d'accueil avec une chorégraphie à base de branches d'arbres. 

(Ça c'est un truc très Maori, il faut toujours qu'il y a ait des chorégraphies) 

(C'est comme un peuple entier de Kamel Ouali).

Ensuite tout le monde s'assied (enfin!) et là c'est au tour des hommes de parler. 

Et ils vont parler, parler, parler pendant super longtemps, parce que le Te Reo est une langue très codifiée, et que les Maoris sont un peuple très formel, donc juste pour dire bonjour dans les règles, t'en as déjà pour cinq bonnes minutes.



(Oui, les Maori sont un peu les Ent de la vraie vie.)

Puis une fois que tout le monde a fini de parler, il y a encore des chansons et encore des chorégraphies, et ensuite c'est le moment du hongi.

Le hongi est une manière de dire bonjour, qui consiste à presser légèrement le front et l'arête du nez contre l'autre personne.



(J'ai dit "légèrement", hein.)

L'idée derrière le hongi est de mélanger les souffles – on partage donc notre essence vitale avec l'autre personne.

Autrefois, tout le monde (femme et hommes confondus) faisait le hongi, mais les colons Anglais jugeaient la pratique impropre entre personnes du sexe opposé, et l'ont replacé par une bise.

(Alors là, faut m'expliquer le raisonnement.)

("Non, c'est trop intime de poser ton front contre celui d'une femme. Embrasse-la plutôt sur le visage!")

Aujourd'hui, selon les marae, soit tout le monde fait le hongi, soit les femmes font le hongi aux hommes et la bise aux autres femmes, soit les femmes font la bise à tout le monde et les hommes font le hongi entre eux.

(Ouais, c'est compliqué.)

Une fois le hongi accompli, le tapu des visiteurs est officiellement levé, et tout le monde peut aller manger.

Qu'est-ce qu'on mange au marae?

La même chose que partout ailleurs en Nouvelle-Zélande : des trucs gras et frits. Question suivante!

Une fois les cérémonies terminées, qu'est-ce qu'on fait au marae?

On célèbre la culture Maorie en parlant te reo, on chante des chansons, les anciens racontent des légendes, et puis bien sûr on n'oublie pas les chorégraphies.



(Moi pendant les chansons, une illustration.)

On dort aussi sur place (parce que les légendes, ça prend du temps à raconter).

Bref, c'était un week-end super cool où j'ai appris plein de choses, notamment une légende COMPLÈTEMENT DÉMENTE sur la création du monde, mais ça j'en ferai un article à part parce que ça vaut son pesant d'or.

Je terminerai avec un petit snapchat de ma soirée:




 Je pense que tout est dit.

3 commentaires:

  1. Merci pour cette plongée dans l'univers maori ! :D

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  2. Sinon je peux savoir qui tu snappais? Parce que je n'ai rien reçu! Je croyais etre ta seule amie snapchat! Toute une amitié basée sur des MENSONGES!

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