mercredi 30 mars 2016

Un long week-end à Whangarei


Et donc je suis partie en week-end dans le Nord.

(Si t’as l’impression que je fais rien dans la vie à part partir en week-end, c’est… plutôt correct.)

(Je change de job la semaine prochaine alors j’ai plus rien à faire à l’ancien boulot, et c’est les derniers beaux jours avant nos cinq mois de pluie annuels, alors je fais le plein de soleil avant d’oublier à quoi il ressemble.)

(Note pour la moi du futur qui lirait éventuellement cet article en pleine déprime hivernale : le soleil est une grosse boule de lumière qui répand la chaleur, la joie, et le cancer.)

Bref.

Donc l’idée était d’aller passer le week-end de Pâques (alias le dernier week-end de l’été) dans le Nord (où il fait chaud), histoire d’emmagasiner assez de vitamine D pour nous faire tenir les mois d’hiver de Mai à Septembre (ou ce que j’appelle « la saison des pluies »).

Et donc, très naturellement, il a fait un temps radieux, et on a passé tout le week-end sous l’eau ou sous terre.


Enfin, presque : j’ai quand même eu le temps de faire une belle balade en solitaire le long de la côte Est, pendant que Flaxou et nos autres amis taquinaient le mérou à la réserve marine de Poor Knights Islands (évidemment, je n’étais pas de la partie) (tu crois que je vais me faire couler volontairement à quarante mètres de fond au milieu du Pacifique ?) (en plus dans un endroit où y’a plein de requins ?) (laisse tomber, je suis pas Indiana Jones).

Donc non seulement j’ai pu prendre le soleil quelques heures et découvrir un joli coin de la côte, tout en collines champêtres et falaises sauvages :





Mais j’en ai aussi profité pour poser mon cul sur une plage et lire un bouquin, chose que je n’avais plus faite depuis que j’ai arrêté d’aller en vacances avec mes parents.


(Avant, c’était tout ce que je faisais en vacances, parce que l’idée des vacances selon ma mère, c’est de se poser à la plage H24 pendant quinze jours.)

(Maintenant que c’est moi qui décide, je fais des vacances où on explore le bush et où on tombe dans des ravins, donc j’ai plus trop l’occasion de glander en slip au bord de la mer.)

Et j’avoue que ça m’a bien plu de me faire trois heures de marathon lecture (J’ai enfin eu le courage de commencer le pavé qu’est 11/22/63) (Stephen King et John Kennedy dans le même bouquin, que demande le peuple ?) (Bon là j’ai lu 200 pages et l’intrigue sur JFK n’a même pas commencé, mais je respecte les gens qui prennent leur temps.) (Fais-toi plaiz, Stephen, case tes références à « ça » et « Shining » dans tous les coins, moi je prends ce qu’on me donne.)

Par contre, trois heures c’est bien, mais au-delà, on se fait un peu chier quand même, le cul dans le sable.

(Vis ma vie avec mes problèmes insoutenables.)



(« Haaan, on s’ennuie sur cette plage déserte et paradisiaque ! Le sable est trop blanc et l’eau trop cristalline ! »)


Bref.

Flaxou s’est aussi frotté aux vagues bleues du Pacifique (ont gommé sur le sable la trace de nos paaas) (pardon) (3615 feuilletons de ta mamie), même si c’est pas trop le même délire que quand on est dans les petites criques toutes calmes, et un peu plus genre CRAINS LE COURROUX DE POSEIDON :


Moi j’ai vu une méduse échouée sur la plage, laisse tomber, j’ai même pas mis un orteil dans l’eau.



(Sauf quand les vagues venaient me happer les pieds subrepticement.)



Et puis évidemment, on s’est baignés sous une cascade, parce que toi-même tu sais que si tu t’es pas baigné au moins une fois sous une cascade, t’as raté ton été en Nouvelle-Zélande.


(En plus là y’avait une mini-grotte cachée derrière la cascade, c’était couvert de mousse et de lucioles et c’était le truc le plus magique du monde.)

(Mais j’ai pas de photos parce que mon appareil photo est pas étanche, alors il faudra que tu viennes voir ça par toi-même.)

Bref bref.

Je disais donc qu’à part ces brèves incursions dans le monde du dehors, on a passé le reste du temps sous terre, à explorer les grottes et cavernes qui émaillent la région de Whangarei.

(C’était un peu comme Minecraft IRL, mais avec moins de zombies.)

Et quand je dis « explorer », crois-moi que c’est pas une hyperbole, parce que le style « grottes pour touristes » à la Waitomo, c’est pas trop le délire par ici.

Ici c’est le Nord.

Ici les gens ont l’eau courante depuis genre avant-hier, alors tu peux me croire quand je te dis que c’est pas des petites natures.

Du coup, ils font fi de tous ces trucs de bourgeois comme les visites guidées, les escaliers, ou les rampes.

Non, ici, on marche jusqu’à un trou au milieu du bush et on tombe sur un panneau du DOC qui dit peu ou prou :

« Salut les touristes ! L’entrée de la grotte c’est par là dans le trou béant, j’espère que vous avez une torche parce que c’est bien dark comme il faut là-dedans. Faites gaffe aux rochers pointus, aux cailloux glissants, et aux gobelins qui se terrent dans les profondeurs. Allez bonne chance, on croise les doigts pour vous ! Bisous bisous ! Le Departement de la Conservation. »

Après ça, tu te démerdes, et si tu te viandes quelque part, c’est pour ta pomme.



(Mais rien n'arrête Flaxou l'homme des cavernes.)



Bon, là, on était partis à plusieurs, donc le risque de se faire 127-heuriser était quasi nul (il aurait fallu qu’on se casse tous les quatre une jambe en même temps, c’aurait quand même été épique sur l’échelle du pas de bol).

Perso je craignais plus un scenario à la The Descent (surtout qu’on est techniquement dans le pays des gobelins et de Gollum) (ça aurait fait ton sur ton) mais bon, les grottes étaient relativement petites et pas trop caverneuses, donc c’était pas de la spéléo pure et dure.

(En plus y’avaient des touristes Français dans tous les coins, qui se raboulaient toutes les quinze minutes en criant EH ROGER C’EST SYMPA LES ‘TITES LOUPIOTES LA HEIN, donc pour l’ambiance glauque, on était bien protégés de ce côté-là.)

De toute manière, je vois pas pourquoi j’avais peur que ce soit flippant dans les grottes, parce que toi-même tu sais qu’on est au pays des Bisounours, et donc, bien entendu, même les gouffres noirs et caverneux sous terre sont SUPER CHOUPI, rapport au fait qu’il y a des glowworms (vers luisants) absolument partout sur les parois, donc on est carrément dans une vibe « caverne enchantée de RPG médiéval fantasy ».

(Genre l’endroit où tu vas trouver des licornes magiques plutôt que des trolls velus.)

On a donc passé quelques heures les pieds dans les rivières souterraines, à admirer les voûtes piquetées de glowworms et les stalactites, et c'était fort divertissant.




Quand soudain.

On est arrivés à un couloir rempli d’eau assez profonde, qui montait jusqu’à la taille pour les gens normaux (jusqu’à la poitrine pour moi) (paye ton mètre cinquante-sept).

Du coup, comme l’eau faisait dans les 15 degrés et qu’on était venus absolument pas équipés, j’ai dit nan c’est bon, j’ai moyennement envie de mourir congelée dans l’immédiat, donc je vais vous attendre ici avec mes potos les vers luisants.

Ma copine Sarah qui est frileuse est restée aussi, et nos mecs sont partis à l’aventure.

(J’avoue, je ne suis pas très fière de cette image genrée.)

(Genre les mecs c’est les aventuriers et les meufs restent posées au chaud à se tresser les cheveux.)

(Mais elle était vraiment froide cette eau, j’aurais bien voulu t’y voir.)

Bref, au bout d’un moment, on entend des gens qui reviennent dans le tunnel, et y’a deux Kiwis qui nous croisent en disant :

- Vous comptez aller dans le couloir d’eau, là ?
- Non.
- Tant mieux, parce que c’est plein d’anguilles et elles sont assez agressives.


- Comment ça « agressives » ?
- Ben, y’en a une qui a mordu Shane, quoi.

Et ledit Shane de pavaner fièrement un mollet ensanglanté sous nos yeux ébahis, en nous disant :

- Je suis très content, je m’étais jamais fait mordre par une anguille avant !

(Ce pays, non mais sérieusement.)

(Il faut vous calmer avec toute cette joie de vivre, ça devient pénible pour les autres.)

(Allez regarder la Liste de Schindler, je sais pas moi.)

Du coup, on était légèrement paniquées à l’idée de retourner à la surface en pataugeant dans une rivière pleine d’anguilles bien VNR, mais comme dans la vraie vie on n’a pas de Corde Sortie, il a bien fallu s’y coller.

J’ai donc longuement hésité entre l’option « Je fixe le plafond en permanence » ou « Je scrute chaque recoin de la rivière ». Comme on devait passer dans l’eau de toute manière, je me suis dit que j’allais tenter l’option 1 histoire de pas flipper inutilement, mais au bout de trois minutes j’ai senti un truc frôler ma jambe dans le noir, donc évidemment, je suis passée cash à l’option 2.

Au final, on est sortis des grottes indemnes.

(Peut-être que les overlords anguilles avaient été apaisés par le sacrifice du mollet de Shane.)

Bref, c'était un chouette week-end.


(Maintenant, on est parés pour la saison des pluies.)

(En plus y'a Game of Thrones qui recommence bientôt ET les soldes Steam dans pas longtemps, tout tombe pile en place.)

Allez, bonne nuit les p'tits loups – bisous ensoleillés! (tant que ça dure)

jeudi 24 mars 2016

L'Instant Kiwi: le Te Reo


Et donc je prends des cours de Te Reo Maori.

Comme tu le sais déjà, les Maoris sont le peuple autochtone de la Nouvelle-Zélande – arrivés sur place depuis les îles Polynésiennes vers le milieu du Moyen Age.

Les Maoris ont leur propre langue, le Te Reo, qu’ils ont amené avec eux de Polynésie et qui a muté à travers les siècles pour devenir une langue spécifique à la Nouvelle-Zélande. (Même si elle garde beaucoup de similarités avec les langues autochtones de Hawaii ou Tahiti, par exemple.) Le Te Reo était une langue entièrement orale jusqu’à l’arrivée des Européens – ce sont eux qui l’ont codifiée et posée par écrit en utilisant l’alphabet latin.

Y’a eu pas mal d’efforts de la part du gouvernement pour développer l’usage de l’anglais comme la seule langue nationale, et c’est seulement il y a quelques années qu’il a rétropédalé en mode «Nan mais c’est super le Te Reo, oh là là, cet héritage culturel trop génial, faudrait surtout pas qu’il se perde», ah ouais c’est facile la prise de conscience une fois qu’on est bien sûrs qu’il y a plus que trois pékins dans tout le pays qui parlent encore la langue, BIEN JOUÉ JOSÉ.

(Ça me rappelle furieusement les tentatives désespérées du Conseil Régional pour sauver l’Alsacien.)

(À ceci près qu’au moins, en Nouvelle-Zélande, le gouvernement national apporte quand même son aide – un peu tard, certes, mais au moins il fait des efforts.)

(Tandis que chez nous, le gouvernement français a quand même fait un texte de loi exprès pour nous dire qu’on pouvait se carrer notre dialecte au cul.)

(« Oui les langues régionales c’est bien, mais on soutient que les dialectes du français, donc si vous êtes pas Bretons ou Basques vous pouvez toujours pleurer, eh ouais fallait pas pactiser avec l’ennemi, hop allez vous rouler dans votre caca bande de sales boches. »)

Bref, le gouvernement essaye maintenant tant que faire se peut d’inverser la tendance, en mettant par exemple en place des cours de Maori dans toutes les écoles primaires, mais ça marche moyen moyen parce que, pour les Maoris, c’est la langue des vieux (liée au passé et aux traditions, donc pas hyper attractive), et pour les Pakeha (Néo-Zélandais blancs) c’est tellement un truc dont ils ont rien à foutre qu’ils essayent même pas de s’en cacher.

(Les associations de parents d’élèves pétitionnent d’ailleurs régulièrement le Parlement pour leur demander de retirer le Te Reo du programme scolaire – et même pas pour le remplacer par une autre langue, non, juste parce que ça les fait chier d’apprendre n’importe quelle langue et qu’ils estiment que leurs enfants devraient passer leur temps à faire des choses utiles, comme jouer au cricket.)

(LOLILOL)

Mais en tout cas, moi, ça m’intéressait vachement d’apprendre le Te Reo. Et grâce au financement apporté par le gouvernement, j’ai pu m’inscrire gratuitement dans un cours du soir pour débutants à l’Université d’Auckland.

(Ce qui est quand même pas rien, parce que les cours à l’université coûtent normalement entre un bras et un rein.)

(Par exemple, si j’avais voulu m’inscrire à un cours d’espagnol pour débutants, j’aurais dû débourser DEUX MILLE DOLLARS pour quatre heures de cours par semaine pendant deux semestres.)

Bref bref.

J’étais bien contente, et je suis allée à mon premier cours assez confiante, en me disant : « Ouais c’est sûr que ça va être un peu chaud au niveau du vocabulaire parce qu’il y a pas de racines communes, mais obligé la grammaire va être super facile. »

En plus, comme je suis là depuis trois ans, j’ai déjà appris quelques mots à droite et à gauche, vu que certains mots et expressions en Te Reo sont utilisés dans la vie courante – comme ‘Haere mai’ et ‘Haere ra’ (Bienvenue et au revoir) (qu’on voit beaucoup écrits sur les panneaux le long des routes), ‘Kia Ora’ (bonjour), ‘kumara’ (patate douce), ou encore ‘hoki’ (un type de poisson dont je ne connais pas l’équivalent en français – mais c’est très bon en friture).

Bref, je me disais que ça allait être globalement pas trop difficile.

Et globalement, on peut aussi dire que je suis une grosse nouille.

Parce que le Te Reo, c’est CHAUD.

D’accord, au niveau de la grammaire, j’avais raison, les mecs se prennent clairement pas la tête – par exemple, pour mettre des mots au pluriel, on ajoute juste un accent sur la première voyelle qui passe et hop, emballé c’est pesé.

(Bonheur total.)

(Surtout après avoir passé dix ans en cours d’allemand à devoir se farcir des déclinaisons dans tous les sens.)

Mais au niveau du vocabulaire, c’est chaud pour trois raisons :

1. Toute la langue maorie est composée de, genre, quatre syllabes.

(Comme la langue des Shadoks.)

J’ai dit plus haut que l’alphabet latin est utilisé pour retranscrire le maori, mais on n’utilise en fait que 15 lettres (10 consonnes et 5 voyelles). Du coup, pour des gens comme moi (dont la langue maternelle comporte une grande variété de syllabes), c’est super difficile de retenir les mots maoris, parce que dans mon oreille, ils se ressemblent tous.

2. Pour la première fois de ma vie, j’étudie une langue qui a zéro racines communes avec le français. 

Et j’ai eu beau rager sur les cas allemands, pleurer ma race sur les verbes de mouvement russes, m’arracher les cheveux sur le locatif polonais, prier Satan devant les déclinaisons latines, et hurler dans un oreiller face à l’imparfait du subjonctif espagnol, il n’en reste pas moins qu’au niveau du vocabulaire, y’avait toujours quelque part où on pouvait se raccrocher.

- Madame, comment on dit « sœur » en allemand ?
- Schwester.

(Super !)

- Monsieur, comment on dit « sœur » en russe ?
- Sestra.

(Fastoche !)

Alors que là :

- Monsieur, comment on dit « sœur » en maori ?
- Alors ça dépend : si le sujet est une femme, alors « sœur » se dira ‘Tuakana’ si c’est une grande sœur, et ‘Teina’ si c’est une petite sœur. Si le sujet est un homme, alors « sœur » se dira ‘Tuahine’. Mais faites attention avec ‘Tuakana’, parce que le mot peut aussi designer un grand frère, si le sujet est un homme. Des questions ?


(Non, tout semble clair)

3. Comme tu peux le voir avec l’exemple sus-cité, la langue maorie reflète directement sa culture – jusqu’ici, rien de choquant. Mais comme c’est une culture qui opère avec des conventions radicalement différentes des nôtres, ça demande un gros effort de se plier aux codes du langage.

Un exemple flagrant, c’est la structure sociale chez les Maoris.

Un des premiers trucs qu’on a appris en cours, c’est se présenter, dire d’où on vient, parler de sa famille, bref : les grands classiques dans tous les cours de langues pour débutants.

Sauf que, chez les Maoris, la famille, c’est le centre de tout.

(Tu me diras « En Europe aussi », mais non. Mec. T’as rien vu. Je t’assure.)

En effet, tout Maori qui se respecte doit être capable de décliner son whakapapa (arbre généalogique) quand il se présente à d’autres Maoris. C’est une procédure très codifiée et très importante. Et le whakapapa, c’est pas une mince affaire, parce que non seulement on doit être capable de nommer ses ancêtres directs (parents, grands-parents, etc.) mais aussi les ancêtres fondateurs de sa tribu, les lieux où leurs os sont enterrés, et jusqu’au nom de la pirogue qu’ils ont empruntée il y a des centaines d’années pour se rendre en Nouvelle-Zélande.

Et comme, en plus de ça, la société maorie est très hiérarchisée, on utilise des termes très différents des nôtres pour désigner les membres de sa famille – pour reprendre l’exemple des frères et sœurs, tu auras compris qu’on utilise des mots différents selon l’âge et le sexe des personnes, et leur ordre hiérarchique (les aînés sont les plus importants). Ça veut dire qu’au lieu de dire «C’est mon frère», on dira en fait «C’est mon aîné et supérieur hiérarchique du même sexe que moi», littéralement.

Par contre, pour d’autres aspects, c’est vachement plus simple que chez nous, cf. le mot ‘matua’ qui peut désigner un père ou un oncle, ou encore le mot ‘cousin’ qui…n’existe pas.

- Monsieur, dans la liste que vous nous avez donnée, il n’y a pas le mot ‘cousin’.
- C’est parce qu’on n’a pas de cousins chez les Maoris, e hoa.
- Okay, ça m’aide archi pas.

En fait, comme le whanau (famille étendue) Maori vit traditionnellement ensemble, et que les enfants grandissent tous sous le même toit, il n’y a pas de distinction entre les frères/sœurs et les cousins/cousines – on utilise le même terme de parenté pour les deux.

(Ce qui explique aussi la tendance des Maoris et Polynésiens à appeler tout le monde ‘Bro’.)

Du coup, je me dis que les enfants qui apprennent le maori en premier doivent galérer quand ils passent à l’anglais :

- C’est quoi un cousin ?
- Ben, c’est le fils de ton oncle.
- C’est quoi un oncle ?

(Imagine l’ampleur du traumatisme culturel.)

(Quinze ans de psychanalyse, direct.)

Un autre truc marrant avec le Te Reo, c’est que c’est une langue agglomérante (un procédé que tu connais bien si tu parles allemand). C’est-à-dire que, quand on a besoin de nouveaux mots, plutôt que d’en inventer de toutes pièces, on va prendre deux termes qui existent déjà et les coller ensemble.

Et d’un côté, c’est super pratique pour mémoriser les mots, parce que ça découle d’un procédé bien logique (par exemple, « avion » en maori se dit ‘wakarere’, de ‘waka’ = pirogue et ‘rere’ = voler) et parfois même fichtrement poétique (par exemple, « bleu » se dit ‘kikorangi’, de ‘kiko’ = chair et ‘rangi’ = ciel, soit littéralement ‘la chair du ciel’) (c’est le paradis des figures de style, cette langue).

Mais d’un autre côté, on dirait bien que les Maoris ont du mal à s’arrêter avec les mots agglomérés – résultat, on se retrouve avec des noms (particulièrement des noms de lieux) qui demandent cinq minutes pour les prononcer en entier.

Et c’est à peine exagéré.

Parce que tu te rappelles peut-être du plus long mot de la langue allemande, Rindfleisch­etikettierungs­überwachungs­aufgaben­übertragungs­gesetz, qui fait 63 lettres.

(C’est sûr qu’on fait pâle figure avec « Anticonstitutionnellement ».)

Mais les Maoris, c’est carrément un autre terrain de jeu. Et j’en veux pour preuve le plus long mot en Te Reo, qui fait QUATRE-VINGT-CINQ LETTRES, et qui est une jolie petite colline au sud de Hawke’s Bay, nommée

Taumatawhakatangi­hangakoauauotamatea­turipukakapikimaunga­horonukupokaiwhen­uakitanatahu


(Respect éternel sur cette madame météo.)

Ce qui veut dire « Le sommet où Tamatea, l’homme aux gros genoux, celui qui grimpait et dévalait les montagnes, celui qui avalait le terrain et qui voyageait partout, a joué de la flûte à son être aimé ».

 (Tamatea était l’un des ancêtres fondateur de la tribu des Ngati Kere, et « l’être aimé » en question fait référence à son frère, qui avait été tué lors d’une bataille avec une tribu rivale. Tamatea, selon la légende, a joué de la flûte sur les lieux de la bataille tous les matins, en mémoire de son frère défunt.)

Et, si tu te promènes un peu en Nouvelle-Zélande, tu verras que beaucoup de lieux sont nommés d’après certains éléments-clés de la vie de chefs Maoris ; c’était une manière d’honorer d’illustres ancêtres (surtout si on nommait des montagnes en leur honneur, parce que les montagnes, c’est genre encore plus sacré que tout ce qui est sacré) et en plus, ça permettait à une tribu d’asseoir leur légitimité sur un terrain : vu qu’ils avaient pas de langue écrite, ils pouvaient s’en servir comme d’un titre de propriété, genre «Essaye pas de me la faire à l’envers Roger, ce terrain est dans ma famille depuis des générations ! La preuve, on l’appelle ‘L’endroit où mamie Charlotte est tombée dans le ravin en essayant d’éviter un joggeur’.»

Bref, faut que je m’arrête parce que je suis hyper enthousiasmée par toutes ces histoires et je pourrais en parler pendant des millénaires – on peut donc ajouter le Te Reo sur la liste de mes passions beaucoup trop débordantes.

(Pour ceux qui tiennent les comptes, ça fait donc dix raisons pour lesquelles personne ne veut me parler en soirée.)

(Les autres sujets à ne pas aborder en ma présence sous peine d’être inondé d’anecdotes étant : le Seigneur des Anneaux, la culture Viking, la saga du Trône de Fer, la mythologie comparée, la toponymie, Skyrim, la série ‘Firefly’ et son annulation scandaleuse, la représentation des femmes au cinéma et à la télé, et les origines des noms de famille en Europe.)

(Les noms tirés d’attributs physiques ou de métiers me fascinent tout particulièrement.)

(Pourquoi tant de monde en Europe s’appelle Smith, Schmidt, Kovač, Kuznetsov ou Kowalski ? Y’a que les forgerons qui arrivaient à maintenir leurs mômes en vie, ou c’est quoi le deal ?)

Bref, je me tais.

(Mais si quelqu’un a la réponse, je suis preneuse.)

(Si tu veux, on s’échangera des e-mails fougueux sur les structures sociales au Moyen Age.)

(Onomastique 4EVA.)

En conclusion : je fais du Te Reo, et c’est super cool – même si personne ne semble partager mon enthousiaste pour ma nouvelle vocation, cf. les réactions de mes collègues :


(« Mais… Personne ne s’attend à ce que tu saches parler Te Reo ! On t’oblige même pas ! »)

Et la réaction de Sarah :


(« Je savais déjà que t’avais un grain, mais là c’est n’importe quoi »)

Flaxou, lui, n’est pas surpris (il est bien placé pour savoir à quel point j’étais A DONF, étant le récepteur numéro un de toutes mes passions beaucoup trop débordantes), même s’il a encore du chemin à faire :

- On a des trucs de prévu ce week-end ?
- Non, faut que je révise mon Te Reo, j’ai une interro la semaine prochaine.
- Mais tu t’en fous des interros, non ?
- Ben non Flaxou, c’est un tiers de la note finale !
- Mais j’veux dire, tu t’en fous de toutes les notes, c'est un cours pour le fun. T'as qu'à rendre une copie blanche.
- …
- Pourquoi tu fais le regard de quand je confonds les Beatles et les Rolling Stones ?

Alors, qu’on soit clairs : s’il existe quelque part un monde dans lequel « on s’en fout des notes », c’est un monde dans lequel je refuse de vivre.


(Monica Geller est mon animal spirituel.)

Flaxou il est bien mignon, mais il m’a pas connu sur les bancs de l’école, et ça se voit.

(Un fois, j’ai rappelé à une prof qu’elle avait oublié de nous donner des devoirs.)

(Après on s’étonne que j’avais pas d’amis.)

En conclusion de la conclusion : j’ai ajouté « Te Reo niveau débutant » sur mon CV et ça pète la classe.

Et maintenant je comprends des bouts du haka au début des matchs de rugby.

(Qui a dit que c’était une compétence inutile ?)


Petit sondage de fin d’article : et toi, avec quelle passion beaucoup trop débordante saoules-tu tout ton entourage ?

(Si tu te dis « ah ben non j’en ai pas », c’est que ton entourage est plein de faux culs.)

dimanche 20 mars 2016

Vis ma vie d'homme des bois


Et donc je suis allée faire du camping pour la première fois de ma vie.

Je dis « pour la première fois de ma vie », c’est pas 100% juste, parce que j’ai déjà dormi sous une tente. Mais bon, c’était quand on allait en vacances en famille quand j’étais petite, et c’était quand même du bon gros camping de bourgeois – où on dormait sur des matelas dernier cri, avec des oreillers ergonomiques, les campings avaient des cabines de douche et des piscines, et on mangeait au restau.

(En fait, c’était comme l’hôtel, mais avec moins d’isolation.)

Du coup, c’était un petit choc culturel quand on est allés camper le week-end dernier avec Flaxou, qui avait l’habitude du camping des colos EDF (« Bon, la tente est percée, mais voilà un rouleau de scotch, démerde-toi ») et nos potes Stan et Larissa, qui, eux, avaient l’habitude du camping en Russie – où tu t’installes dans la forêt et tu te fabriques une hutte en brindilles.

(Grosso modo.)

Je te laisse donc imaginer les minutes de bidonnade qui ont suivi mon arrivée comme une fleur avec mon oreiller en plumes sous le bras :

- Je vois pas ce qu’il y a de drôle.
- Cha, en camping, on emmène pas des oreillers !
- Mais…sur quoi je suis censée mettre ma tête ?

Alors soi-disant qu’on doit rouler un pull en boule et dormir sur un tapis de sol fin comme une peau de chagrin, mais quoi, on est des animaux ??!

(Et pourquoi pas creuser un trou et aller mourir dedans.)

(Ça a l’air à peu près aussi fun.)

Mais bon, je fais ma mauvaise langue, mais c’était bien fun quand même.

À ceci près que j’ai pas dormi de la nuit parce qu’on s’est PEULE LES MEULES SEVERE, rapport au fait que :

1. C’est le début de l’automne et il commence à faire froid la nuit ;
2. On était juste à côté de la rivière et ouais d’accord c’est super joli mais niveau humidité ça se pose là ;
3. Flaxou et moi on avait acheté nos sacs de couchage au Warehouse comme les gros radins qu’on est, et du coup ils procuraient genre un degré de chaleur.

Flaxou, comme c’est un robot caché dans un corps d’humain, il a pas trop mal dormi :

- Par contre t’arrêtais pas de me réveiller avec tes dents qui claquaient, là.
- ….
- C’était super relou.



Par contre ça l’a fait bien rigoler en se réveillant de voir que j’avais mis la tente à sac pendant la nuit et que je m’étais recouverte de tout ce que j’avais trouvé – du coup je portais deux pulls, j’avais une paire de chaussettes aux pieds et une paire aux mains, et j’avais empilé les serviettes de bain par-dessus le sac de couchage pour tenter de maintenir un semblant de chaleur.

(Ça n’a pas marché.)

Mais à part ça, c’était vraiment sympa, le camping « pour de vrai ».

D’autant que les campings du Département de la Conservation, le confort trois étoiles c’est pas trop leur délire, cf. notre arrivée au camping où il n’y a pas d’employé, mais un panneau d’information, qui nous disait :

« Bienvenue au camping du DOC, veuillez déposer six dollars dans l’urne prévue à cet effet, et ensuite faites-vous plaiz. Y’a des toilettes sèches et on n’a pas l’eau courante, mais y’a la rivière alors vous pouvez boire là-dedans. »


Et j’avoue que c’était franchement le super kif de boire l’eau de la rivière (et de faire la vaisselle dans la rivière, et de me laver dans la rivière, et de me brosser les dents dans la rivière), BREF j’avais trop l’impression d’être un homme des bois.



(Sans compter qu’il y avait le frisson de transgresser des années d’interdits parentaux : « Non Charlotte, ne bois pas l’eau du ruisseau, tu vas être malade », AH OUAIS BEN REGARDE-MOI MAINTENANT MAMAN, T’ES A VINGT MILLE BORNES KESTUVA FAIRE ?)

Et aussi big up au DOC (et aux campeurs Kiwis), parce que ça fait trois ans que je suis en Nouvelle-Zélande et je devrais avoir l’habitude, mais y’a rien à faire, la propreté des toilettes dans ce pays est tout bonnement époustouflante.

(Ou alors c’est qu’en France on est juste une bande de gros porcs.)

(Au choix.)

Bref, c’était bien cool de camper à côté de la rivière, on a mangé des chips (t’entends ? DES CHIPS !) (3615 références obscures) et les traditionnelles viandes en conserve de quand t’es dans un endroit où y’a pas de frigo :



(Si l’on fait abstraction du visuel « pâtée pour chat », c’est franchement pas mal.)

Et on a joué au Scrabble et j’ai mis tout le monde a l’amende en casant « Exquisite » en mot compte triple avec le Q sur une lettre compte triple, comme quoi ça paye de passer des années à se faire chier chez mamie en regardant des Chiffres et des Lettres.

(En plus on pourrait penser que c’est facile de gagner au Scrabble contre Flaxou et ses désastreuses compétences en orthographe, mais il est assez costaud parce qu’il passe en mode « Professeur Flaxou le biologiste » et case tout son vocabulaire scientifique, alors c’est la débauche d’acides aminés.)

Donc c’était bien cool, en plus on a fait des belles balades dans les anciennes mines d’or de Karangahake Gorges, ou c’était l’aventure totale à base de ponts suspendus :


De rails abandonnés :



De manufactures à ciel ouvert avec option « champs de boulons »:



D’exploration de tunnels:



Et de CHARIOT MINIER ABANDONNÉ SÉRIEUX C’EST TROP COOL ON EST TELLEMENT INDIANA JONES C’EST GÉNIAL :


Et ça aurait été encore plus cool si j’étais pas tombée dans un ravin, mais on ne peut pas tout avoir dans la vie.

Explications : Karangahake Gorges, comme son nom l’indique, c’est des gorges. Donc y’a des petits chemins plats qui longent le précipice, et on a une très jolie vue sur la rivière en contrebas.




Le souci, c’est que comme c’est très joli et plat, y’a environ huit mille joggeurs qui viennent faire de la course ici.

Et donc on était en train de marcher pépouze, j’ai entendu un mec qui haletait derrière nous, je me suis dit « Ha un coureur, je vais me mettre de côté pour le laisser passer », et j’ai fait un pas de côté. Sauf que j’étais déjà au bord du ravin et que donc, sur le côté, c’était le vide.



(J’avoue que je me suis sentie un peu comme le coyote de Bip-Bip et Coyote.)

Donc je suis tombée comme une couille, je me suis rattrapée tant bien que mal aux plantes qui poussaient le long du chemin, et le joggeur consterné est venu me secourir d’une mort certaine (quoi, t’étais pas là, okay ?) en se confondant en excuses parce qu’il était persuadé que c’était de sa faute si je m’étais jetée dans le vide.

Et maintenant, la même scène racontée du point de vue de Flaxou !

(Ouais, je prends des cours de marketing chez EL James, tavu.)

Bref bref : la même scène racontée du point de vue de Flaxou, cent mètres plus loin :

- J’ai entendu les gens qui faisaient « Han ! Est-ce que ça va ? » et j’ai tout de suite pensé « Merde, c’est encore Cha qui a trébuché sur son pied. » Je me suis retourné et j’ai vu un mec à genoux au bord du chemin, alors j’ai pensé « Ah non, je suis mauvaise langue. » Et ensuite j’ai vu le gars te hisser hors du ravin, et je me suis dit « Évidemment ».

Bref, maintenant j’ai des bleus partout et une future cicatrice bien badass sur le tibia.

(Faut juste que je m’invente l’histoire badass qui va avec.)

(Pour le moment, j’hésite entre « Je me suis jetée dans le vide pour sauver la vie d’un enfant » et « Je me suis faite attaquer par un ours comme Leo dans The Revenant »)

(Y’a pas d’ours en Nouvelle-Zélande, mais les gens sont des débiles.)

Bref, c’était un chouette week-end.


Épilogue :

- Alors maman, t’as vu mes photos du week-end ?

- Charlotte, qu’est-ce que je t’ai dit ?
- Hein ?
- Je te l’ai répété pendant des années que c’est pas bien de boire l’eau de la rivière !
- Mais elle était…
- Jamais tu m’écoutes !
- Je…
- Après on s’étonne que tu tombes dans les ravins !

(Okay.)

(Donc la distance n'est pas une protection contre la fureur maternelle.)

(Prenez note.)